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La rencontre
« Ce sont les gens de l’association Mémoires à Vaulx-en-Velin qui m’ont donné ses coordonnées. Je leur avais parlé du projet Mémento, de l’envie de prendre à rebours la période glorieuse de la Libération et de travailler sur les femmes tondues sans d’ailleurs trop savoir pourquoi.
Roger Pestourie habite à Bron dans une petite maison qui ressemble à un musée. Collection de toiles dédiées à sa femme. Il a encore sa carte au Parti Communiste et il était au cœur d’un réseau pendant la guerre. Il est habité par cette figure romantique du Résistant. Il me montre de petits carnets imprimés de poèmes de Paul Eluard, de René Char, qu’ils distribuaient sous le manteau.
On se salue, on s’assoit, je lui présente le projet et lui annonce d’emblée l’intuition des femmes tondues sans trop savoir ce qu’il va en penser. Oui, les femmes tondues, mais avant cela, il y autre chose qu’il me dit, et il part dans un grand discours qui commence aux débuts de la Résistance, il me parle de lui, de son engagement, je me dis que je suis à côté, que la question n’était pas claire, que c’est stupide de remuer ce genre de dégueulasseries avec les anciens, puis il me parle des femmes, de leur rôle dans la Résistance et sans que je le vois venir arrive l’événement tragique de la Libération : on a tondu des femmes, il s’emporte, ferme le poing, j’ai un frisson, il a fini, silence, soufflé que je suis.
Il conforte ce que je pensais. La résistance, c’est d’abord un écart à la norme. Alors, à la Libération, quand tout le monde s’est déclaré maquisard, que la résistance est devenue la norme, on a tondu les femmes. Tondues, non pas pour avoir couché avec l’ennemi - d’après les rares thèses produites sur le sujet, cela représenterait à peine la moitié des cas - tondues parce que les hommes avaient le regard bas et que certaines ont en profité pour s’émanciper un peu, ne plus avoir de comptes à rendre. Tondre les femmes, c’est d’abord rappeler que le maître est de retour à la maison. »
La composition de l’intervention
Séparer la réalisation plastique d’une fresque de grand format (8X5m) en deux étapes pour relater les deux axes du témoignage : le moment de la bascule, la résistance comme un écart à la norme.
La première partie de la réalisation met en jeu la transcription sur le mur - préalablement recouvert de papier kraft - d’un extrait de l’interview.
L’écriture est au centre de la performance : pas de diffusion vidéo, une simple lecture a capella, entrecoupée d’extraits de la conversation avec le témoin diffusés par un dictaphone :
« On était une voix, disons effacée. On était un peu des gens incompris, il n’y avait aucune communication. Il a fallu reconstruire ça, reconstruire la communication, l’explication, les valeurs pour lesquelles il fallait lutter, et ça, ça a été le combat le plus difficile. Et alors il y a le processus, une fois que tu as commencé. On s’est rendu compte qu’on n’était pas que des jeunes communistes à être résistants, il fallait voir tout les autres, il y avait surtout les chrétiens. Il y avait tout un tas d’inorganisés et l’on a créé le Front patriotique de la jeunesse.
J’ai vécu une période extraordinaire : la clandestinité. Je me suis senti d’une puissance énorme. Là, je me suis épanoui. J’ai écris cent quatre-vingt textes, j’ai donné mes directives : c’est beau, ça, tu vois. On était préparé parce qu’on savait que le combat que nous menions, avec tous ceux qui tombaient autour de nous, c’était presque quelque chose où nous étions intégrés. Nous savions que demain, peut-être, nous serions morts. C’est pour ça que ce sentiment est venu à ce moment-là, tu vois, résister. »
Une dictée en plein air se met en place sur un bout de trottoir, le peintre utilisant la surface de papier comme un tableau noir. Un troisième agent est sur le site, il a aidé à transporter le peu de matériel, il attend la fin de la dictée pour remballer, il colle un petit portrait de Roger Pestourie.
L’absence de diffusion vidéo permet d’intervenir en journée, de créer un temps de jeu inscrit dans le quotidien. Quand les trois agents quittent le lieu, restent les mots qui forment une trame colorée, première image dans la ville à la vue des passants.
Le soir venu, la réalisation plastique se poursuit. Des collages de portraits de femmes viennent composer avec le texte en fond. Cette seconde partie évoque plus particulièrement l’histoire des femmes tondues à la Libération. Des extraits vidéo de la rencontre avec Roger Pestourie sont projetés sur la façade :
« Et puis il y a eu les femmes tondues à la Libération... Une autre tragédie. [...] Et donc, cette déchirure à la Libération. C’est de voir que nous, ces valeurs pour lesquelles nous avions lutté, ce combat que nous avions mené, ces femmes qui étaient à nos côtés, ces martyres si nombreuses... Et bien, on a tondu les femmes ! On a osé tondre les femmes ! [...]
Moi, j’ai vu tondre les femmes, ici, à Lyon, tu vois. C’est affreux, c’est une vision affreuse : c’est la honte ! C’est la honte de l’humanité ! Oser tondre une femme, qui était peut-être simplement une amoureuse ! Et quand tu portes atteinte à ça, tu portes atteinte à toutes les valeurs et à toi-même, tu te détruis toi-même ! [...]
Tu n’as pas de femme qui a parlé sous la torture. Les femmes n’ont pas parlé – ça, c’est extraordinaire : cette volonté. [...]
Nous étions très amoureux dans la Résistance. Très amoureux. Parce que quand tu as la mort en face, tu as la vie ! Tu as la vie qui surgit : ce besoin de vivre, d’aller jusqu’au bout, d’aller au rêve - mais la finalité du rêve : l’amour, la passion... Et les femmes nous ont apporté ça dans la Résistance. »
La réalisation plastique est soutenue par un univers musical ponctué de citations d’archives sonores. Quatre interprètes sont présents, ils circulent, échangent leurs outils : acteurs, tour à tour, de la réalisation plastique, de l’univers sonore, ou de la mise en image.
Des phrases sont collées : « La première des résistances, c’est la résistance à la norme. Quand tout le monde est devenu Résistant, on a tondu les femmes ». Le bombage « résister au regard » finalise la composition plastique, éclairée par la diffusion d’un film d’archive de foules en liesse à la Libération.