La Route
Départ de ville de Mbandaka à Kinshasa. Donc Mbandaka, c’est une ville qui se trouve au Congo. Il y a beaucoup de pêcheurs. On part prendre l’hélico dans un camp de militaires. A coté du camp, il y a la forêt et un grand marché.
Dans l’hélico, il n’y a pas de chaises.
Donc : je pars à Kinshasa avec un hélico, je suis la seule fille, tous sont des militaires.
Arrivée à Kinshasa.
Une semaine pour prendre l’avion.
Donc je ne peux pas décrire la ville de Kinshasa parce que je ne sors pas. Je suis toujours enfermée mais je vis dans une grande villa, tout ce que je peux dire : je suis surveillée, on fait tout pour moi, même pour la photo du passeport on la prend dans la maison.
On part prendre l’avion. Dans la voiture, je vois de grande rues, des boutiques, beaucoup de gens.
Arrivés à l’aéroport, on prend l’avion et moi je ne connais toujours pas ma destination et dans l’avion on m’explique : je pars pour la France.
La Route 2
1. La route qui mène à la gare.
Chemin habituel. Il est tôt le matin. Les rues sont désertes.
2. Quai du RER bondé.
Gens pressés.
Paysage familier.
Mon sac de voyage aux pieds.
3. Gare de Lyon.
Des voyageurs apparemment heureux de partir en vacances et d’autres pressés.
Plusieurs lignes de TGV.
Des militaires circulent.
4. Dans le TGV. Des hommes d’affaires avec leurs ordinateurs portables. La maman avec son enfant qui n’arrête pas de pleurer. Le paysage défilant à toute vitesse.
5. Arrivée à Lyon.
Découverte de la place Carnot.
Tout est nouveau.
L’air est différent.
Les couleurs aussi. Et les odeurs.
Les gens sont différents.
Comme si ils sentaient que je n’étais pas de là.
6. Attente dans un bistrot du coin, presque vide.
Juste un couple d’amoureux à mes côtés.
Je dois
Je dois poser mon sac trop lourd.
Trouver un toit.
Un job.
Prendre une douche.
Manger quelque chose.
Découvrir la ville.
Entrer en contact.
Me couper les cheveux.
Être seule.
Trouver un toit pour dormir.
Aller à la préfecture pour se présenter.
Aller à l’école.
Trouver un travail.
Faire un permis.
Faire des activités.
Faire une carte de bus.
Les correspondances du métro.
Le fonctionnement des machines pour acheter un billet.
Les gens qui ne s’arrêtent pas pour répondre.
Ne pas avoir quelqu’un pour m’indiquer les rues.
Ne pas avoir d’attaches.
Obtenir un bac + 2 minimum.
Trouver un bon travail.
Passer un permis.
Les femmes françaises n’ont pas de seins ni de derrière.
Faire une famille.
Faire un tour en Afrique plus tard.
Demander où je suis.
Comment se rendre à l’hôtel.
Les taxis ici ont les même voitures que les ministres chez nous.
Des policiers en tenue civile font des contrôles.
Couper mes cheveux.
Faire mes études.
Passer un permis.
Faire la connaissance de gens.
Faire des démarches pour le papier.
Trouver un mari, faire des enfants.
Faire ma vie.
Franchement, il n’y a rien qui ne me fait peur.
Fourmi
Je suis une fourmi.
Je travaille dur.
Plus que d’autres espèces de ma nature.
Je travaille pendant que d’autres dorment.
Ma vie ne dure pas plus d’un an.
Je fais beaucoup de provisions pendant l’été.
Je me faufile entre les pieds des gens, entre dans la cuisine pour chercher des miettes de pain et du sucre.
Mais je ne peux plus vivre dans la cuisine parce qu’il n’y a plus de miettes de pain ni de sucre.
Je me décide à aller au supermarché Carrefour au rayon du sucre et des pains.
Là je me réjouis de ma vie parce qu’il y a là,
pleins de sorte de pains que je peux manger : pain noir, pain blanc, pain au céréales, pains au chocolat.
Et aussi plein de sortes de marques de sucre dont je ne connais pas les noms.
Je n’ai pas voulu me contenter de mon bonheur seule, j’ai fait appel à toute ma famille, mes copains, mes cousins lointains, et sans oublier mes voisins.
J’ai un esprit de partage.
Une histoire comme une autre
Un grande cour entourée de fils barbelés. Un mur très haut, un terrain de basket, des hommes en uniformes. Plus loin, les tours des appartements, des plantations et des arbres. La personne est assise avec son ami en train de discuter en fumant un joint. L’un dit : “J’en ai marre”. L’autre répond : “T’inquiète, on est encore en vie”.
Ils aperçoivent une jeune fille dehors et commencent à crier :“Oh ! Oh la jolie”.
La fille répond : “Vous voulez quoi ? Mes seins ou mes fesses ? Malheureusement, vous ne pouvez pas”.
Villiers-le-Bel
La place du marché abandonnée.
Au sol des grands cercles de dallage violet et bleu.
Les vestiges d’un PMU où les pères des familles du quartier se réunissaient.
Le grand salon de coiffure muré, orné d’un magnifique graff sur le thème de la jungle.
Le poissonnier fermé depuis une quinzaine d’années mais qui, à part son rideau de fer baissé, est toujours entièrement carrelé.
La boulangerie ressemble seulement à un local vide.
Le tabac presse est caché derrière son rideau de fer. Le seul indice est le losange rouge qui nous rappelle que cela était un tabac.
La pharmacie n’a pas changé depuis mon premier souvenir comme si les proprios n’avaient pas vieilli.
Mon épicier srilankais au 4 square Charles Perrault, une épicerie semblable à toutes les autres : deux présentoirs à légumes et fruits. Des étagères tout autour de la pièce sur les murs. Deux frigos à boisson pour le jus et l’alcool. Une très grosse statue de bouddha et pleins de petites autour. Une vingtaine d’encens qui ornent un dragon. Un grand miroir. L’épicier. Ma voisine Marie « la ch’ti », des travailleurs dans l’arrière boutique qui prennent l’apéro, les petits de la Cité. Un brouhaha en « V.O. » srilankais. Le bruit de la caisse enregistreuse. La clochette de la porte d’entrée, dehors des cris disent « oublie pas le pain ». Les petits sortent de l’école et viennent chercher leur dose de bonbons.
Odeur d’encens, légumes, fruits frais, odeur exotique.
Match de foot sur la place du marché. Les commères sont assises sur le banc à attendre le scoop de l’année. Mon épicier m’appelle et me demande de lui régler mes dettes. Les impacts du ballon sur la fresque du coiffeur résonnent et font écho dans le square. Un groupe de personnes de différents milieux et d’ages sont réunis tous pour la même chose : siroter du rhum et de la bière à coté de l’épicerie en écoutant du dance-hall depuis leurs voitures, le coffre ouvert.
NOUS
Nous,
enfants d’ouvriers,
intoxiqués dès la naissance,
issus d’un corps empoisonné
et n’ayant qu’une seule et même voie qui s’offre à nous : la soufrière
à laquelle nous ramène cette addiction au poison.
Nous rêvons de bonheur et de richesse.
Nous fantasmons sur cette grande maison qui verrait grandir nos enfants.
Et nous voulons voir nos parents, sereins, réprimander avec amour l’égarement de l’insouciance.
Nous étions unis.
La vie s’efforce de nous séparer.
Mais nous savons ce que la vie est.
Nous savons que la victoire n’est que meilleure lorsque le combat est périlleux et difficile.
Nous ferons ce qu’il faudra.
Et nous sommes sûrs que nous aurons,
nous aussi,
la chance de voir notre mère tricoter ce pull en laine dans son « rocking-chair »,
notre père, chiquer son tabac en repeignant la clôture.
Nous veillerons sur nos enfants,
s’écorchant les genoux lors de l’apprentissage du roller.
Voilà,
ce que nous espérons...
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