Février 07.
Nous sommes invités par la Biennale d’art contemporain pour intervenir place des Terreaux.
Mars 07.
Ce sera une installation qui se déroulera sur une nuit, celle du samedi 13 au dimanche 14 octobre.
L’idée d’un travail sur les populations de nuit.
Avril 07.
Au cours d’un repérage nocturne, nous nous retrouvons au bout du cours Charlemagne. Là, une file ininterrompue de camionnettes garées des deux côtés de la route. Combien sont elles ? 150 ? 200 ?
Une mise en scène identique de camionnettes en camionnettes : assise au volant, une femme fraîchement vêtue, éclairée par une petite loupiote collée sur le tableau de bord.
Certaines ont la cinquantaine, d’autres tout juste dix-huit.
Sur le cours Charlemagne, un ballet de voitures qui roule au pas et longe la longue file : 306 coupé sport, Scénic familiale, R18.
Mai 07.
Rencontre avec l’association Cabiria. Ils nous expliquent que les filles étaient quai Rambaud et qu’elles ont “déménagé” au moment de l’inauguration de la Biennale d’art contemporain aux Sucrières.
Juin 07.
S’agit d’aller rencontrer les filles, leur expliquer notre projet.
Je me sens ado en pleine poussée d’acné.
Filmer les femmes ne sera pas possible.
Elles ont des maris, des enfants, une vie de quartier : s’agirait pas que les copains du fils ou un commerçant découvrent que...
Juillet 07.
Chez les anglophones, les camionnettes sont louées.
Pour certaines, c’est aussi leur logement.
Au dire, il n’y a pas vraiment de filières, plutôt du réseau... familial : cousines et tantes arrivées de pays pauvres.
Les albanaises travaillent plutôt à pied.
On noue des contacts.
Une femme, la cinquantaine.
Elle guette les infos sur le poste télé posé sur le siège passager.
Elle a été filmée hier par des journalistes qui avaient été prévenus de l’opération “propreté” orchestrée par le nouveau préfet.
La dame est en colère.
Toutes les camionnettes ont passé la nuit à la fourrière.
On la laisse parce que c’est l’heure de sa pause casse-croûte avec les copines.
« Avec tous les contrôles qu’il y a en ce moment, ca fait fuir les clients », qu’elle nous dit...
Et pourtant : Kangoo avec siège bébé à l’arrière, 206, le A rouge collé au pare-brise arrière.
Août 2007.
Les camionnettes ont disparu.
La Ville a signé un arrêté.
La Préfecture a mis en application l’arrêté.
De manière suffisamment claire pour que les filles n’aient plus envie d’y revenir.
Les filles ont disparu.
Septembre. 07
On retrouve quelques camionnettes aux alentours de Gerland.
Elles se sont organisées autour de Maria, l’ancienne.
Il y en avait 200. Il en reste 20.
Les autres sont parties ailleurs : d’autres quartiers, d’autres villes...
Cabiria craint qu’elles ne se retranchent dans la clandestinité pour pouvoir continuer à exercer.
Clandestinité qui les fragilise.
On y va régulièrement.
On commence par être repéré. Nous ne sommes ni des clients, ni la police déguisée...
On sent une grosse envie de parler. De pouvoir dire librement.