Dimanche 26 Octobre
Parcours Croisés, c’est quoi déjà le point de départ ?
Une envie de partager autour de ces pratiques qui touchent à la ville, qui s’inspirent de sa matière, son énergie. Artistes de ville, artistes dans la ville qui ont fait le choix de fabriquer une œuvre à partir du terrain, au cœur de la Cité.
Il y a sans doute comme une quête de cette mythologie de la Cité dans le travail que nous menons, dans nos investigations du quotidien : nécessairement artistes de la relation dont l’œuvre est sensible à ces échanges informels fomentés sur un coin de bitume, conversations, deux ou trois mots, parfois même juste un regard et cela suffit pour déclencher quelque chose, la ville comme une grande bibliothèque dans laquelle nous venons fouiner, pour trouver les thèmes, les fondamentaux d’une future création, d’une nouvelle intervention...
Il y a un côté saltimbanque qui, par son errance volontaire, faussement gauche dans les rues de la ville architectonique, fonctionnelle, va catalyser ses maux : propriété privée exacerbée, défiance envers l’autre, contrôle insidieux mais omniprésent de l’individu, frontières sociales invisibles mais infranchissables... Glaner dès lors, au fil de la route, ce qui est passé à travers les mailles de la régie urbaine, l’informel, la pépite nichée dans le creux de la ville, l’inimaginable...
Quelque chose comme cela.
Cela partait de là, l’envie de se rencontrer autour de cette passion de la ville.
Et pour ne pas être dans la spéculation intellectuelle,
la rencontre devait s’organiser dans le concret de la ville, à partir d’un territoire et de ses habitants, en l’occurrence le quartier de la Soie, avec son histoire industrielle, et maintenant ce projet de renouvellement urbain prévu sur trente ans auquel il a été donné un nom : Carré de Soie, et qui va bouleverser le paysage en friche suspendu depuis deux décennies, depuis que la grande usine a fermé.
Enfin, et pas des moindres, tout cela en cinq jours parce que question de budget.
Cela fait beaucoup, en peu de temps...
Lundi 27 Octobre
Rencontre lundi
envoyé par meromvideo
Et puis Maud, Marion, Papy, Audrey, Jex, Pierre de KompleX, je m’occupe de la scénographie de la Banque Alimentaire, c’est de là que partira le public, au pied du château d’eau, que l’on va éclairer, qu’il se voit de loin, de tout le quartier.
L’idée pour le lieu de départ est de créer un sas pour “aider” les spectateurs à entrer dans cette proposition un peu atypique. Il y aura des projections d’images d’archives que le public pourra manipuler, s’amuser à fouiller dans la mémoire du quartier, une déco à base de palettes, et un bar où chacun pourra profiter de la générosité de la Banque Alimentaire : brick, soupe marocaine ou choux à la crème faits maison... La Banque Alimentaire, c’est justement là qu’on a rendez-vous.
Nous sommes attendus pour déjeuner : les petits plats dans les grands, avec le froid, cette grande tablée, c’est Noël avant l’heure. Pierre Dominique et Garance de la “mission Carré de Soie du Grand Lyon” nous rejoignent. La Banque Alimentaire reçoit des colis des centrales d’achats et les redistribue vers les associations. Elle sert l’équivalent de 17 000 repas/jour.
On remercie Dalila pour ce somptueux repas et c’est parti.
Tour de quartier, tour du projet Carré de Soie avec ses émissaires du Grand Lyon. Les travaux ont commencé : le pôle de loisirs, ses commerces, son cinéma et puis plus tard, des bureaux, des logements : on attend jusqu’à 12 000 nouveaux habitants d’ici trente ans.
Concassage sur place de l’usine Tase, cœur historique du quartier qui a poussé au milieu des champs au début du XXe. Et les cités pour loger les ouvriers, les cadres, qui se sont construites autour. Puis la ville.
L’usine a fermé il y a une vingtaine d’années, la nature reprend ses droits, herbes folles qui lézardent les murs. Terrains vagues, terrains en friche prêts à accueillir les projets des architectes, mais c’est vrai qu’avec la crise, les promoteurs sont moins pressés de commencer les travaux.
En face du pôle de loisirs, l’hippodrome en cours de rénovation qui accueillera des courses mais aussi des animations pour les enfants. Des centaines de mètres linéaires de placo vert hydrofuge avec le quadrillage blanc des joints, il faudrait tout laisser comme ça dit Nicolas.
On rencontre Madame Degurse de TSD qui fait de la soie. Ironie, elle n’a rien à voir avec l’usine, elle, c’est une canut qui s’est faite expropriée de la Croix-Rousse parce qu’il y avait l’extension de l’hôpital. Elle nous explique le tramage, les armures et nous finissons à la Boule en Soie, café historique, ouvert par le père de Michel, tenu par Michel aujourd’hui, un drôle d’endroit où les jeunes tuent le temps à coups de parties de rami tandis que les ouvriers du coin viennent manger à midi, pas de cartes, le menu emmené en direct sur la table avec fromage et dessert et café et quart de vin.
A la Boule en Soie, nous avons rendez-vous avec Tania de l’association Mémoires qui habite depuis soixante ans dans le quartier, José du collectif d’habitants du quartier “La Soie Rayonne” qui a déposé un dossier auprès du Ministère de la culture pour tenter de faire classer la partie de l’usine menacée aujourd’hui de destruction par le nouveau promoteur. Et puis Youssou du centre social avec qui on est en contact depuis le début du projet.
On se teste sous la tonnelle sans lumières de la Boule en Soie avec les jeunes du coin. Silhouettes dans la nuit, petites provocations sur le quartier chaud chaud chaud...
Explications, argumentations sur pourquoi nous sommes là, ce que nous cherchons à faire, en quoi cela peut être intéressant pour le quartier, ses habitants.
Une des règles de base dans le type d’interventions que nous produisons, c’est de savoir que rien n’est jamais acquis sur le terrain et que tout est toujours négociation, information. La légitimité se gagne souvent d’abord dans un corps à corps verbal avant la preuve par les faits. La preuve par les faits, ça sera vendredi et on croise les doigts...
Mardi 28 Octobre
Ballade hendrik markan
envoyé par meromvideo
Mercredi 29 Octobre
Le froid se renforce, le ciel est gris neige, la valse des équipes dans la cour du KompleX : « je vais voir Tania », « on a rendez-vous avec José », « Youssou doit me faire rencontrer des jeunes ». Récupérer des témoignages, des points de vues, des avis venus d’horizons différents.
A l’ancien Tri Postal, vaste hangar vide aujourd’hui, il y a Nicolas, Julie et Éric qui s’y collent. Vu la météo, ils pensent qu’après une promenade dans le froid, ça fera du bien au spectateur de se mettre au chaud, s’asseoir dans des transats et se laisser aller à la contemplation : deux grandes images vidéo côte à côte sur un mur blanc comme un toile de cinéma. Jeu de miroirs entre des photos d’archives du quartier et les mêmes lieux pris en photo cette semaine par Julie.
Les trois larrons travaillent aussi à des animations de plans qui expliquent le projet, le quartier. Enfin, ils veulent confronter des paroles, celles de jeunes, celles d’anciens et notamment Isabelle et Fernando qu’ils ont rencontré par hasard dans la rue. Fernando fout en l’air la mythologie du “bon temps d’avant de l’usine Tase”, quand il explique que les vêtements étaient bouffés par l’acide, que les copains étaient emportés par de drôles de maladies, qu’avec la fumée noire de l’usine, il n’y avait pas moyen de mettre son linge à sécher dehors.
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envoyé par meromvideo
Enfin, comme Markan a prélevé pas mal de sons avec Hendrik au cours de leurs repérages, il y a cette idée d’associer les images à des bribes sonores du quartier.
Ce soir, verdict, chacun doit se prononcer : quoi ? où ? avec quel matériel ?
Jeudi 30 Octobre
Il y a un passage qui longe l’usine Tase, protégé par une verrière posée sur des fermettes, très belle. Ce passage, que nous nous appelons communément le couloir de la soie, c’est Loredana et Marcelo qui veulent l’investir.
L’envie d’un entre deux, incarner des habitants d’ici dans des logements en attente des chambardements futurs : Loredana l’Italienne, Marcelo le Portugais, il ne manque plus que le Maghreb et se retrouveraient symbolisées les trois dernières vagues d’immigrations qui ont nourri l’usine.
Alors Dalila, la cuisinière de la Banque Alimentaire se fait embarquer dans l’histoire. Elle fera le couscous “en live”. Chacun parlera dans sa langue d’origine, il y aura de la poussière, du sable, comme si les travaux avaient déjà commencé. Le spectateur sera “appelé” par une image provoquée au lointain au pied de l’usine.
De sacs suspendus au plafond, s’écoulera un filet de sable qui fera support pour les vidéoprojections.
Vendredi 31 Octobre
Derniers préparatifs.
Reprise du parcours. Comment donner sens aux différentes interventions.
Les guides nous rejoignent. Ils assureront la gestion des groupes dans le quartier. Ils sont huit bénévoles, du quartier et d’ailleurs.
Nous avons passé la semaine à distribuer de la main à la main des tracts pour la soirée, mais il est temps d’un dernier coup de barouf.
Youssou prend le mégaphone et nous voilà sous la pluie à haranguer les immeubles de la Grande Cité Tase.
19h10. Le temps se dégage un peu, il ne pleut plus. Au centre social, les maman m’assurent qu’elles passeront : est-ce que je viens avec le petit dernier ?
Les premiers spectateurs arrivent bien en avance.
Puis d’autres.
150 personnes débarquent, lampe de poche, grosses chaussures, motivés pour le grand tour, ou poussettes et copines, rassurées qu’on ait prévu un petit circuit.
Des groupes de 20/30 personnes se forment.
Les départs s’échelonnent tous les quarts d’heure.
Certains partent faire un tour de quartier, d’autres un tour du Carré de Soie jusqu’aux berges, il y en a bien pour deux heures, ils le savent et cela semble les ravir encore plus !
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